Rover • Bacchantes à Bonjour Minuit, Saint-Brieuc, le 30 octobre 2021
( michel)
Le concert affiche sold-out, en te pointant plus d'une heure avant le coup d'envoi, tu te vois obliger d'aller au bout du serpentin qui fait déjà 75 mètres.
Le scan/pass au boulot!
Comme support pour Timothée Régnier, le globe-trotter ayant parcouru une bonne partie de la planète avant d'avoir fait sa première communion, Bonjour Minuit a invité celles qui rendent un culte à Dionysos, pas le groupe, non, le dieu de la vigne et grand tombeur, bien avant Casanova, Bacchantes!
Les Bacchantes dont il s'agit ne sont pas grecques, on leur donne des origines nantaises et rennaises, elles sont quatre, jolies et vêtues de noir, Amélie Grosselin (voix, guitare électrique), Claire Grupallo (voix, harmonium indien, claviers), Astrid Radigue (voix, batterie et éléments de scierie), Faustine Seilman (voix, harmonium indien, claviers).
Ces demoiselles, cultivées, ont sorti leur premier album ( 'Bacchantes') en février.
Il y a un avant Bacchantes: Amélie, graphiste lorsqu'elle ne joue pas de la guitare, par exemple, était de l'aventure Fordamage, Claire, la frisée, sévissait au sein de Sieur & Dame, Astrid s'amuse chez Mermonte et Faustine, la préférée de Nina Companeez, a sorti des albums sous son nom ou en équipe avec Claire sous l'étiquette " La Cour".
Pour décrire leur musique, elles affirment faire du rock trans chamanique, de là à les répertorier dans la même catégorie que The HU, le groupe mongol, il y n'y a qu'un pas, que certains hésitent à franchir.
Après le salut poli, les nymphes ouvrent le bal par des vocalises hantées, très vite remplacées par un riff de guitare répétitif, soutenu par un jeu de batterie minimaliste, le sombre 'Aride' est sur les rails.
Ce titre lancinant aurait pu se retrouver au répertoire de Malicorne, si les sonorités noise de la guitare ne nous éloignaient pas à cent mille lieues de l'époque médiévale.
Les voix et l'harmonium, par contre, ont leur place dans l'univers folk traditionnel, un univers dont la Bretagne est friand.
La seconde plage, introduite par les sonorités désuètes de l'harmonium, est tout aussi déstabilisante, elle n'enchantera guère les chasseurs, car comme Harper Lee qui a intitulé son roman' To Kill a Mockingbird', devenu "ne tirez pas sur l'oiseau moqueur", les filles proposent un texte visant à protéger les oiseaux, une énumération ornithologique complète le tableau, les vocalises déconcertantes et la guitare agressive d'Amélie, pas aussi douce qu'un poulain, nous mettent mal à l'aise et fascinent à la fois.
Le chant choral décorant ' Cavale' éblouit, la guitare cette fois se montre moins torturée, mais ne va pas croire que tu entendras du Manitas de Plata.
Voix perçantes, cris d'hyènes, de Peaux-Rouges sur le sentier de la guerre, introduisent 'Fiers Tyrans' (tiré d’un texte d’Isaac Habert) , une plage nerveuse, saccadée, elle est décorée de battements de mains lui donnant un caractère tribal effrayant.
Si tu voulais boire tranquillement, tu t'es trompé d'endroit, les bacchantes bousculent , il te sera compliqué d'échapper à leurs filets.
A capella, sur une ligne, elles entament 'Terre d'allégresse' , un autre nom pour ' Le Chant des Marais' ou 'Le Chant des Déportés' , que tu connais dans la version flamande ( De Moorsodaaten) chantée par Rum.
Le titre te refile toujours la chair de poule.
Claire et Faustine changent de place et d'instrument pour interpréter 'Choeur d'Amour', un poème de Gérard de Nerval, mis en musique par leur soin.
Romantisme, tu dis, ouais, écoute l'accompagnement sonore ( Amélie martyrise son instrument en lui refilant des coups de baguette pas tendres) et les râles inhumains, tu risques de passer une nuit agitée.
Chant lyrique élégant pour amorcer la litanie ' Sécheresse' , tant de beauté ne peut s'éterniser, elles se mettent à haleter, le ton monte, la guitare grince, s'enflamme, tout tourbillonne, ...
....Je suis sans vous,
Je suis la sécheresse... répété à l'infini, vite, un verre d'eau, tu suffoques!
Astrid est passée chez Bricomarché pour se procurer une scie circulaire, la lame se couche sur une caisse du kit, Faustine annonce une chanson d'espoir portant le nom d'une fleur, il y a un hic, elle se décompose, 'Hellébore fétide' ne va pas t'aider à retrouver le sommeil, ce texte prophétique fait passer Nostradamus pour un comique.
Un doigt frotté sur un verre rempli d'eau, c'est presque pire que le crissement d'une craie sur le tableau, c'est ainsi que débute 'Politique' , chimes caressées délicatement, chant atone, l'ambiance est au recueillement et à l'introspection, Sainte -Pélagie, bénissez-nous, car nous ne pourrons pas nous évader de cette sinistre prison.
'Marine', sur un texte de Paul Verlaine, termine un voyage pas banal qui a tenu l'assistance en haleine.
22:25' un signal lumineux pour indiquer qu'il est temps d'interrompre la musique de fond et de plonger la salle dans l'obscurité car Rover et son unique musicien, l'épatant batteur Antoine Boistelle, que tu as vu à Bruxelles accompagner Owlle (Vitalic ou Maestro utilisent également ses services) sont prêts à faire leur entrée.
Rover et la Bretagne, c'est une histoire d'amour, sans épines, à chacune de ses apparitions en terre celtique, il fait un tabac.
Saint-Brieuc l'attendait et était curieux d'entendre les nouvelles compositions du chanteur, désormais entré dans l'âge de raison, pour autant que la locution ait du sens, on va questionner Sartre!
C'est à Bruxelles ( Saint-Gilles, 1060) qu'a été enregistré le troisième album ( Eiskeller) du copain de Julian Casablancas ou d'Albert Hammond jr.
Comme il a de la suite dans les idées, l'album a été intitulé Eiskeller car il a été conçu dans les Anciennes Glacières de la commune bruxelloise, dont le club de football, la fière Union Saint-Gilloise parade au sommet du championnat belge.
Voilà pour les préliminaires, passons au concert !
Le costaud, oui, son look s'approche de celui de Marvin Lee Aday, monsieur Paradise by the Dashboard Light, aux guitares raccordées à un impressionnant jeu de pédales, et Antoine Boistelle aux drums, drumpad et échantillonneur, entament le gig avec ' Rising High', un pop rock d'un romantisme palpable, Lord Byron a failli pleurer. La plage, chantée d'une voix caressante, n'est pas gonflée au botox, aucun effet grandiloquent, c'est juste une bonne chanson!
Le poignant 'Queen of the fools' est extrait de son premier album .
Ici, la mélancolie dégouline à grands flots.
La fille, se tenant à tes côtés, murmure: c'est beau!
T'as pas réagi, par timidité, mais tu sais que t'es beau!
Après une séquence je caresse le public dans le sens du poil, Rover lui adresse la ballade ' Wasted Love' . Reverb sur la guitare, petites touches Beatles, du travail d'orfèvre.
Fondu enchaîné sur ' From the start' , à classer dans le rayon Crowded House, Alan Parsons Project, voire Moody Blues.
De la pop léchée portée par une voix inimitable et une orchestration limpide.
'For Ages' toujours dans la veine The Beatles, présente des aspects prog rock attachants, ici encore la mélancolie, brumeuse, domine et tu te dis que Timothée Régnier n'est pas né à la bonne époque, tu le verrais plutôt dans un salon littéraire échanger des propos avec Alfred de Musset ou Prosper Mérimée.
Pendant 'Late Night Love', Rover se libère et lâche un solo sombre avant de marmonner sa complainte d'une voix bourrée d'effets.
Un grand morceau, crépusculaire, suivi par deux ballades, la première bucolique ' To this tree' , la seconde introspective, ' Some Needs'.
Qu'un duo, guitare+voix/batterie, réussisse à donner tant de majesté à ces pièces musicales tient du miracle.
Il faut d'ailleurs mettre en exergue l'apport considérable d' Antoine Boistelle dans l'accomplissement du rendu scénique.
C'est lui qui lance 'Burning Flag', un morceau aux accents rock plus prononcés.
'Silent Fate' , une plage héroïque, voit le jeu du batteur et la guitare se greffer sur des bandes pré-enregistrées .
Avec 'Tonight' , Rover revient vers son premier album?
Ce titre rock, dramatique, est à rapprocher des premiers Muse.
L'effervescence gagne un public qui a reconnu un des hits des débuts, des chants s'élèvent du fond de la salle, les oooh, oooh, oooh sont repris par le chanteur, tout sourire.
Un second tube ' HCYD' maintient l'enthousiasme général et puis, surprise, un petit salut, direction les loges.....
Quoi, à peine 50'?
Saint-Brieuc piaffe, ils vont revenir, ta voisine le pressent.
Sondage, y-a-t-il des gens de plus de 40 ans dans la salle?
Au moins, dix, Timothée!
Les rappels débutent par le midtempo 'Woys' , suivi par 'Roger Moore' qui fut Simon Templar, Ivanhoe avant de devenir 007, chante-t-il les exploits de l'acteur, mais non, il s'agit d'une chanson d'amour aux teintes David Bowie, c'était avant son passage à Berlin.
Au fond, parfois Rover te rappelle James Morrison, un autre crooner, chéri par les dames.
L'imparable 'Venise Hat', au style narratif, précède celle que pas mal de gens espéraient 'Aqualast' qui achève le job du batteur.
Rover, bon prince, octroie un dessert au bon peuple, c'est solo qu'il interprète 'Lou' pour le plus grand plaisir des fans qui quittent la salle, un large sourire aux lèvres.
La tournée se poursuit, le 5 novembre à Lorient.