lundi 6 mai 2024

Simon Denizart et Yessaï Karapetian - Jazz ô Château - Château de Pommorio, Tréveneuc, le 4 mai 2024

 Simon Denizart et Yessaï Karapetian - Jazz ô Château - Château de Pommorio, Tréveneuc, le 4 mai 2024

michel

Jazz ô Château a le chic de nous faire découvrir des pépites, mieux cachées que les perles dans les huîtres, pour ce second soir sous le chapiteau ( sold-out) ce sont  Simon Denizart et Yessaï Karapetian qui ont enchanté un public, à juste titre, enthousiaste.

 Simon Denizart quitte Créteil , son pont sur la Marne, peint par Cézanne, son champion du monde de boxe française, pour s'installer en 2011 à Montréal, où il grave cinq disques aux frontières du jazz,  du classique et de la  world music.

Son dernier effort, 'Piece of Mind' sent encore le talc.

Ce soir, le pianiste  est accompagné par une fine équipe:  le fabuleux Adriano Dos Santos  Tenorio ( un Brésilien installé en Europe)  aux percussions ( une panoplie phénoménale) / Michel Medrano Brindis, né à La Havane, installé au Québec, à la batterie ( si tu en doutais, jette un oeil à son T-shirt "I'm the drummer") / Julien Lafrenière ( Québec)   à la basse cinq cordes.

Pas de setlist en vue, ce qui ne facilite pas les choses pour le compte-rendu.

Une suite pour démarrer le gig, ' Music Box' et ' Piece of Mind', les deux pièces ouvrant le dernier CD.

Si le piano néo-classique joue un rôle important,  les acolytes de Simon  ne font pas de la figuration, loin de là, Adriano aux percussions attire l'attention en maniant avec dextérité clochettes, cymbales à main, une étonnante cymbale d'effet en spirale, des  congas, des agogôs, des chekerés, des  grelots, des  maracas,  des sonnettes et encore une dizaine de gadgets non identifiés.

Julien apporte le groove indispensable aux compositions et plus loin, Michel, qu' Antoine n'a pas réussi à mettre en cage,  se démène comme un lion enragé.

Tu peux accoler les étiquettes hybride, métissé, aventureux, post prog, visionnaire,   à ce jazz à la puissance évocatrice indéniable.

Difficile de tracer des points de comparaison: Weather Report, Return to Forever, le Keith Jarrett Trio , le Brad Mehldau Trio, peuvent être avancés.

' Love on the trail'  est amorcé par un piano lyrique, proche des compositions de Debussy, quand les autres rappliquent, la locomotive s'emballe pour nous conduire vers un final dramatique. 

De temps en temps,  Simon vient tripoter les entrailles du piano, dans lequel il a placé un micro pour produire des sons synthétiques.

Fingersnaps, suivis de one, two, three pour donner le signal de départ d'un morceau vif argent débordant d'écume, l'estran s'est déplacé jusqu'au coeur du bourg.

Pourquoi ' 9 - 4' a questionné la presse canadienne.

C'est simple,  le 94 c'est le Val-de-Marne dont il est originaire.

Vous ne le savez peut-être pas mais j'aurais pu opter pour la carrière de stand-up comedian, d'ailleurs ma prof de piano n'a pas voulu parier un kopeck sur mon avenir de pianiste, résultat je l'ai croisée  il y a peu, du coup  je lui ai vendu un album à 25€.

Comme les plages précédentes, cette dernière offre une structure complexe, bourrée de cassures et de reprises nerveuses.

Si le titre de la  pièce suivante n'a pas été  dévoilé, on peut te dire  qu'il s'agissait d'un morceau tendu  filant vers un paroxysme violent.

Le solo de  Michel Medrano Brindis a tenu la salle en haleine, le clin d'oeil final, où il s'est mis à chanter Guantanamera a beaucoup plu à Joe Dassin.

Après un rondo ponctué par un solo de basse aux sonorités caverneuses  vient l'instant pub,  puis la dernière plage du set, lente et concise,   '35 years of mistakes' et son intro symboliste.

Après les saluts et photos d'usage, le public, debout, exige un rappel,  un dernier morceau, tortueux, décoré d'effets électro viendra ponctuer un set en tous points remarquable.

Il y avait file à la table de merch où Simon dédicaçait  sa marchandise.

Après avoir démonté le matériel du néo-Québecois et  installé celui d'  Yessaï Karapetian, la pendule indique 22:35'.

 Yessaï Karapetian naît en Arménie, à Yerevan,  mais  cabote désormais entre Paris et New-York.

Le premier album du pianiste surdoué, 'Yessaï' paraît en 2022, un successeur 'Ker U Sus' voit le jour en 2023.

Ce soir, Yessaï est accompagné par  le jeune David Paycha à la batterie,  Damien Varaillon à la contrebasse et par un duo de flûtistes, venus en droite ligne de Yerevan: Norayr Gapoyan au duduk, pku ou zurna   et Avag Margaryan au blul ou zurna. 

 Comme pour le concert précédent, aucune setlist n'est visible. Encore plus contrariant pour décortiquer  le concert, Yessaï a pris le parti d'interpréter six pièces d'affilée sans mentionner un titre.

Ce qui paraissait assommant de prime abord, s'est avéré finalement logique, quand l'Orchestre Philharmonique de n'importe où s'attaque à la Symphonie n°2 de Sibelius, tu ne dois pas t'attendre à des pauses,  ni à une énumération de titres.  

Dans une atmosphère de recueillement, le pianiste secondé par la flûte arménienne, étouffée, d' Avag Margaryan entame le récital, lorsque la contrebasse, la batterie et Norayr Gapoyan entrent dans la danse, la composition prend de l'ampleur.

Puis tout se calme, le piano propose une broderie en points arméniens, le blul oblique s'infiltre dans ce jazz avant-garde pour y apporter des touches folkloriques, les drums et la contrebasse tapissant un fond rondo qu'on ne baptisera pas à la Turk,  pour ne pas heurter les sensibilités. 

Ce mariage de modernité et de traditions peut surprendre,  mais très vite le crâne adhère au propos et vibre en conséquence.

La première plage, méandreuse,  paraissait être arrivée à son terme, le piano l'avait mouchetée d'une morne  plainte,  bien aidé par le duduk de Norayr, tu t'attendais à un mot explicatif, nada!

Le voyage se poursuit sans aucun arrêt en gare, du coup,  ton esprit te renvoie des images du concert du Maria Schneider Orchestra à Brosella, c'était en 2008, là aussi les compositions allongées dépassaient les trente minutes.

Un nouveau mouvement, proche de l'univers de Michel Legrand est amorcé, frénésie et langueur se succèdent, tu jettes un oeil  autour de toi, personne ne s'est assoupi, l'attention est extrême, visiblement le voyage fascine.

45' se sont écoulées, le piano a repris la route pour proposer un requiem, rythmé par de timides coups de baguettes. Malgré le côté vaguement  intellectuel et désarmant   des compositions , elles engendrent un flot d' émotions diverses et permettent à ton cerveau de créer son propre film.

Après une heure de lecture musicale sans aucune pause, Yessaï se saisit du micro, annonce une danse arménienne ( Tamzara?)   et un invité: Adriano Dos Santos  Tenorio, comme celui-ci était dans le coin ( forcément il y a  75' il était sur la même scène),  il a accepté de se joindre  au quintet pour quelques titres dont cette fameuse danse.

Pour permettre à l'assistance d'admirer la dextérité du Brésilien aux congas, les flûtistes font un pas de côté. 

Le morceau virevoltant et propice à la méditation aurait pu inspirer les derviches tourneurs, car les Bretons, habitués à danser la gavotte, se sentaient un peu perdus.

Après les remerciements surtout destinés à la nouvelle présidente de l'association, Yessaï Karapetian propose une dernière tirade à l'amorce lugubre.

La marche funèbre, dans un second temps,  fera place à  une tarentelle débridée et exubérante, une ultime cassure et l'outro au piano viendront  achever un concert mémorable.

Malgré nos applaudissements nourris et nos suppliques, ils ne reviendront pas.

Il est minuit, le public quitte les lieux  en se promettant de revenir l'an prochain, car la programmation de Jazz ô Château  réserve toujours d'agréables surprises!