Sandra Nkaké à La Passerelle- Saint-Brieuc, le 29 septembre 2023
michel
Premier concert pour la nouvelle saison à La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc: Sandra Nkaké vient présenter son dernier album, Scars, sorti au mois d'avril.
Les titres à découvrir sur ce quatrième album de la chanteuse franco-camerounaise sont chantés en français, anglais et en langue bantoue, comme l'intitulé le laisse supposer, il évoque les cicatrices, les blessures, les épreuves, les brèches qui ont jalonné le parcours d'une artiste se sentant femme jusqu'au bout des ongles.
Ce n'est pas un disque élégiaque, 'Scars' transpire l'engagement, le militantisme, il s'en dégage un brin de hargne, mais il est aussi question de partage et de résilience.
20:10', la salle est plongée dans l'obscurité la plus totale, quatre musiciens prennent place sur scène: son compagnon et partner in crime, l'extraordinaire et impétueux Ji Drû ( flûte traversière, seconde voix ), la discrète, mais ô combien efficace, Mathilda Haynes à la basse et choeurs, Mathieu Penot à la batterie , percussions diverses et aux choeurs et Jérôme Perez, aux guitares ( acoustique et électrique) et aux choeurs.
On le constatera plus tard, ils arborent tous des peintures guerrières sur le visage.
Mathieu donne le signal du départ, la basse le rejoint, la flûte de Ji, un musicien exalté, s'envole haut, la guitare brode, Sandra Nkaké, belle et impressionnante, fait son apparition pour chanter d'une voix soul profonde, la bouleversante complainte 'La voix éraillée' .
A peine 4' se sont écoulées et déjà elle a remué nos tripes .
Après avoir ramassé une guitare, Sandra salue le public, le harangue pour qu'il fasse preuve de plus d'enthousiasme et c'est le second titre de l'album, ' Under my skin' qui est amorcé par la batterie.
Ce morceau poignant, mixant sonorités soul, rock, et jazz, la rapproche de Nina Simone ou de la plus contemporaine Joan Armatrading , la voix, aux intonations chaudes et implorantes, expose avec émotion des épisodes douloureux de son existence, en commençant par sa naissance ... On the day that I was born, it was 96 degrees (hard times) My mother wasn't sure, she was crawling on her knees (hard times)... sa mère avait 19 ans!
Les blessures, les peines de coeur, elle les a cachées sous son épiderme, maintenant l'heure est venue de se relever ..healing time has really come for sure I'm building a new door... elle est debout, elle le crie à la fin d'un morceau qui s'affole sur les dernières notes.
Ensemble, nous sommes plus fortes, tel est le thème de l 'hymne ' Rising up' qui voit Saint-Brieuc battre des mains.
C'est un peu son 'Get up, stand up' ( don't give up the fight'), en pensant à toutes les femmes qui luttent.
Et tout en chantant ...Knock, knock, knock, knock, I'm blowing glass in shapes...elle joint le geste à la parole et quand elle avance ...We gonna burn down all the walls... t'as l'impression de voir et d'entendre les gosses, chantés par Pink Floyd, briser le mur.
Un rien de théâtralité pour convaincre les assoupis et des jets vifs à la flûte, tous ensemble, on reprend le refrain ' Rising Up', ton voisin, presque aussi âgé que Hugues Aufray, a même levé un poing à la manière de Tommie Smith et John Carlos à Munich, en 1968.
Jérôme Perez a troqué sa guitare électrique contre une acoustique, un premier titre apaisé, ' Night Reflections' , est proposé.
La féroce combattante peut se faire douce.
' Sisters' une des nombreuses plages magistrales du set est dédié ...à ses sœurs de cœur, aux femmes de ma vie mais aussi celles que je ne connais pas, celles que j’ai croisées, que j’ai écoutées, que j’ai lues… qui m’ont donné de la force et de l’élan. Je voudrais dire que je suis à leurs côtés, que nous sommes là les unes pour les autres et que notre union, la bienveillance que nous nous portons sont notre puissance »....
L'orchestration majestueuse a failli t'arracher des larmes.
Un slow blues aussi proche des fantastiques Moody Blues que du 'Woman' de Neneh Cherry, et comme une phrase dit ... Come on and reach out for my hand... tu revois les Four Tops chanter 'Reach out I'll be there'.
' Nos voix', une mélopée, débute par un dialogue flûte/batterie, avant de sentir le fantôme de Nina Simone planer au dessus de nos têtes.
La tendre ballade 'Trois feuilles' est précédée d'un préambule poétique devant éclaircir le propos.
Les trois feuilles, ce sont ses amies qui l'ont accompagnée durant une adolescence difficile.
Au terme du morceau, elle avise deux personnes assises au premier rang, les parents d'une des trois feuilles, elle les remercie d'avoir fait le déplacement jusqu'à Saint-Brieuc.
Le groupe enchaîne sur un indie rock qui, dans les paroles, évoque quelques grands noms, Radiohead pour I don't belong here ou Cissy Houston pour Nothing can stop me now... tu peux aussi penser au "Nothing's Gonna Stop Us Now" de Starship, avec la brillante Grace Slick aux vocals, sans oublier que Chicago a lui aussi gravé un morceau baptisé "Nothing's Gonna Stop Us Now"
Après ce morceau rayonnant vient ' Terre Rouge' , un pays aux couleurs de sa terre natale.
Un solo de flûte ensorcelant et des bruitages dépaysants introduisent cette ballade, que la chanteuse entame cachée derrière un rideau diaphane.
Le caractère vaudou de la chanson est perceptible, en fermant les yeux tu peux la voir cette terre ocre, bourrée d'oxyde de fer, celle qui recouvre les hauts-plateaux du Cameroun.
Un morceau troublant et fort.
Virage rock avec la suivante, 'Singing leaves', comme toujours tu te lances dans le jeu des comparaisons, Skin, de Skunk Anansie, te vient à l'esprit.
La guitare de Jérôme Perez n'avait jamais été aussi agressive, la basse gronde, la flûte à l'arrière lance de petites piques, Mathieu abat un bilan de titan et la voix hypnotique de Sandra, qui passe de l'anglais au français, fait le reste.
Une ovation immense ponctue les dernières notes.
Elle décide de nous ouvrir son coeur, de nous montrer ses plaies, le sang coulant sur le sol, le feu qui la brûle, ' My heart' ( en fondu avec ' Change) pulse du début à la fin, au rythme d'un coeur qui a saigné.
En vue de la fin de ce morceau explosif , Sandra se débarrasse de ses bottillons scintillants pour poursuivre le récital les pieds nus, ce qui lui a valu un clin d'oeil d'Humphrey Bogart.
Durant une séquence guerrière, elle entre en transe, se retrouve couchée, avant de rebondir de plus belle et ensuite de présenter ses musiciens .
Le dénouement est proche, elle s'éclipse, la guitare gently weeps grâce à des effets de vibrato. Jaillissant de derrière la draperie, Sandra surgit, habillée d'une cape de boxeur, en se retournant elle dévoile le texte 'My scars don't lie' et achève la tirade fulminante par un dernier râle effrayant.
L'obscurité s'est installée, toute la salle s'est levée et attend le rappel.
L'escadron revient pour entamer ' Like a buffalo' , un titre plus ancien (extrait de l’album “Nothing For Granted) , dégoulinant de groove, de punch et de fureur.
Et quand elle décide de mettre Saint-Brieuc à contribution, ce sont plus de 300 buffles enragés qui battent le plancher de leurs sabots rugueux, en reprenant le refrain à plein poumon.
Sans pause, elle poursuit, a capella, en mode gospel, bientôt imitée par ses musiciens qui s'accompagnent aux fingersnaps, certains pratiquant le beatboxing, we'll sing with you, chantent-ils en quittant le podium pour une déambulation dans une salle toute prête à communier avec ces sorciers, ces guérisseurs d'âme!
Le 6 octobre, Sandra Nkaké participe au Women Metronum Academy Festival à Toulouse.