Pour te rendre rue de la Tulipe ( à 35 mètres de la place Fernand Cocq) à Ixelles, pas besoin de programmer ton régulateur de vitesse à 60 km/h, tu ne dépasseras guère le 32 km/h, le problème consistera à caser ton tacot dans ce périmètre rouge.
Etonnement pour un vendredi soir , tu parviens à le larguer à 5 minutes du Sounds, un des plus anciens jazz club de la capitale.
Tous les adeptes de la blue note indigène sont passés chez Rosy Merlini et Sergio Duvalloni qui programment des artistes 6 soirées sur 7.
Menu du jour: Cruz Control.
Ce combo naît en 2004 sous forme de duo, piano/sax, avant de passer au quartet: Julie Dehaye ( Fender Rhodes): un background classique - François Lourtie ( tenor and soprano sax): The Wrong Object, Panopticon, La Cigarette sans Cravate... - le Grand-Ducal, Jérôme Klein ( drums): Canopée, Paragdim Junction... et Jérôme Heiderscheidt ( bass): Studio Ubik...
De concerts en concerts ( Jazz Marathon, l'Open Jazz Festival, l'An Vert à Liège, Comblain, Jazz à Huy..) l'envie leur vient de graver une rondelle, "Le Comment du pOurqÙoi ?" sortira fin 2012.
22:00 c'est pas la cohue premier jour des soldes au Sounds, faudra encore patienter en compagnie de mademoiselle Stella..
22:30', extinction des feux, Cruz Control sur scène, sans Jérôme.
Lequel?
Le petit, pris ailleurs... derrière le kit, un autre batteur surdoué , Jens Bouttery, que tu as croisé avec le Winchovski de Lucien Fraipont.
' Bob et Cruz' , rien à voir avec Willy Vandersteen, comme toutes les autres plages du CD , un titre composé par Cruz Control .
Un démarrage en douceur, une petite rengaine fluette se colorant, petit à petit, de teintes latino, brisure soudaine, quelques échappées free, un sax saccadé, une rythmique souple et un Fender grognon.
Si t'étais venu pour du mainstream, tu t'es trompé d'adresse, un nouveau break puis Bob et sa croix partent en funk contorsionniste.
Quoi, des points de repère?
Michel Sardou, Patrick Fiori, Mike Brant ... ça te va?
Tu veux une baffe?
Deux ou trois noms, alors: Weather Report, Trio (avec Jozef Dumoulin , Trevor Dunn et Eric Thielemans), Deodato, les Crusaders et autres chantres de la fusion...
' Wizz' est indiqué sur le feuillet transmis par la gentille, mais pas rousse, Julie.
On a cherché et pas trouvé de trace de ce sorcier sur le disque.
Une ballade pain de sucre, un soprano enchanteur et un drumming ouaté.
Du lyrisme coloré.
Un assaut en règle amorce ' El Crabos' , une armée de tourteaux, de Kamtchatka, de grapsus grapsus ou grapsi grapsi, en latin, dirigée par un centurion belliqueux, ça va saigner.
Accalmie, le Rhodes grince, le volcan sax entre en éruption, basse et batterie grondent en sourdine, le climat est tendu...
Mitraillage en rafales, sont vachement agités, ces enfants!
'Automastic' sera plus serein, la batterie entame un tic tac sinistre, un piano torturé se pointe, le sax se fait Stan Getz, la basse s'adonne à l'exercice solitaire, avant le retour du peloton qui annonce le terme de la ballade.
Que tu croyais, Jens, sournois, relance la machine qui cruise en pilotage automatique, ce qui te permet de constater que le coin s'est bien peuplé et apprécie la soupe.
Jérôme a composé ' Ten Tunnels' qui sent bon le Herbie Hancock ou le Weather Report.
On achève le premier set par une adaptation de ' L'Amie d'Annie' de Steve Waring qui aime les sucettes.
Pas sûr que Delphine, six ans, de jolies tresses et des joues roses, eût raffolé de ce sax malade, caracolant abstraitement, tandis que Jérôme tabasse sa basse et que Jens cogne un faux gong acheté sur Ebay.
L'orgue s'éveille, comme les épinoches, têtards, amibes, araignées d'eau et autres peuplades du marais.
Le jour pointe, va faire chaud, pense à te désaltérer, Annie!
Tout bouge, ça fourmille ferme, c'est la récré.
Retour au calme avant de nouveaux remous aquatiques, d'abord un grouillement, puis une vibration, un tremblement, un tsunami, c'est sûr les assurances vont casquer!
Présentation des corsaires et pause!
'Tsar Moktary' de la fusion autocrate et bouillonnante, un groove fluctuant.
Encore une plage à la structure semblant complexe mais, finalement, d'une fluidité naturelle.
Les trois suivantes sont de la plume de François, ' Sunways' pour débuter.
Longue intro cérémonieuse aux drums/ claviers, le sax et la basse ronflante sortent de leur torpeur, direction le soleil, mais pas en ligne droite, des méandres et des bosses.
Tu te souviens de Sun Ra?
' Sélim'.
Sasson?
Vais me renseigner, peut-être un copain des janissaires.
Sélim hante la corde crossover/ smooth jazz à la David Sanborn ou Bob James.
Un mariage de raffinement et de funky vibes.
Pour les somnambules, ' Sleepless' .
Pendant tes insomnies, ton cortex visualise Gato Barbieri ou Grover Washington ( interprétant 'Just the two of us').
Un réveil en sursaut car la basse en slapping annonce un final secoué.
Le voyage approche de son terme, voici ' Melting-Pot' .
Son cathédrale, wah wah grésillante, le sax pompe, j'arrive, annonce Bouttery.
Tu te laisses porter par les vagues, tout baigne, soudain un break arabo-andalou imaginé par Heiderscheidt, le pot-pourri dégénère en délire sonore, tu vas boire la tasse, c'est sûr!
Bref retour au calme, puis de nouveaux mouvements de houle, au loin le chef de gare fait signe à Jacques Lantier de calmer sa fougue, on arrive au terminus.
Il est minuit cinquante, avec Cruz Control on a vu du pays: des plaines, des monts, des forêts vierges, des banlieues exotiques ... on s'est pas emmerdé, on rentrera chez soi avec des images plein la tête!