samedi 27 juillet 2024

Emily Jane White au Chaland qui Passe à Binic, le 26 juillet 2024

 Emily Jane White au Chaland qui Passe à Binic, le 26 juillet 2024

 

michel 

Le Télégramme: Le Binic Folks Blues Festival ( édition 13)  a pris ses quartiers en centre-ville et sur le port binicais.

Pour la seconde année d'affilée, la place de la Cloche est délaissée, ce qui n'enchante guère tous les commerçants, heureusement, il y a Arnaud du Chaland qui Passe, qui jamais à court d'idées  organise en moins de deux une scène off ( no payment required).

Pendant trois jours, pas moins de cinq artistes de renom vont défiler en terrasse ( car la mairie a donné l'autorisation d'installer des tables et des sièges sur une rue fermée à la circulation automobile) :  Emily Jane White, Here Comes the Flood, Anna Boulic, The Gipsy Skins, et La Meute, sans oublier un karaoke géant et un blind test!

16:50', vacarme immense de l'autre côté de la passerelle, sur la scène de la Banche  le soundcheck tonitruant d'un des groupes programmés au BFBF  risque de perturber le concert  minimaliste de la folk lady d'Oakland.

17h et des poussières, le calme est revenu, Emily Jane, d'une pâleur aristocratique, qui convient à son patronyme ( remember de Brontë Sisters) , et vêtue d'une longue robe noire se présente, armée de sa magnifique Epiphone écarlate, face  à un  public nombreux.

Dans un français impeccable, elle nous salue, remercie Arnaud pour ce last  minute show, elle qui est attendue ( avec band)  au mois d'août au Festival Interceltique de Lorient.

Le  dernier album  ' Alluvion' date de 2022,  tu as eu  le bonheur de la voir sur scène ( accompagnée par Jen Grady et  Carey Lamprecht) , à Bruxelles, après la sortie de son premier recueil,'Dark Undercoat', c'était en 2008.

Ce concert t'avait impressionné au plus haut point, aussi  quand  le Botanique la programme en 2009 et 2010, tu signes présent.

En 2024, sa discographie se chiffre à 7 albums, parus chez Talitres, ce qui explique sa connaissance parfaite du français.

On sait à quoi s'attendre avec Emily Jane, du dark folk chanté d'une voix  cristalline, maîtrisée à la perfection, sur des accords de guitare limpides, avec énormément de reverb sur le chant  et sur  l'Epiphone.

Pendant plus d'une heure, l'interprète, proche du mouvement sadcore, va tenir le public en haleine , quasi uniquement par la qualité de ses compositions, sa communication avec l'audience  étant réduite au minimum syndical ( but no complaining).

'Bessie Smith', un extrait de 'Dark Undercoat',  ouvre le set.

Les arpèges épurés et la voix ensorcelante rendent hommage à la grande chanteuse de blues .

I would die in heaven just to meet your soul... murmure-t-elle, tandis que ta mémoire se souvient des lignes plaintives du violon sur le morceau enregistré.

'Blue' est extrait du même album.

Bleu n'est pas rose, bleu est blues, bleu est sombre .... tu es parti sans laisser de traces, car la trainée de sang sur les pavés a été balayée par la pluie.

Romantisme gothique, tu dis... on t'avait prévenu!

Elle enchaîne sur un extrait d'  'Alluvion', voici ' Show me the war' et son message politique engagé , car le titre évoque  Juárez,  la ville féminicide  ainsi que   l'interdiction de l'avortement en Pologne.

Retour vers 2008 avec ' Sleeping dead' , dans la lignée du folk noir d'Alela Diane, des écrits d'Edgar Allan Poe ( l'image des corbeaux) et  de certains  dark movies baignant dans un climat mystique étouffant, bref, ça ne rigole pas des masses!

Le picking précis et léger sur ' Time on your side'  atténuent les charges obscures subies jusqu'ici .

C'est comme si une brise légère avait chassé tous les vilains nuages.

Sur l'album 'Blood/Lines', 'Dandelion Daze' voit Marissa Nadler seconder Emily Jane White.

Pas de Marissa à Binic mais un nouveau titre imparable, tu fixes ses doigts jouer en picking, puis tu jettes un oeil à ses pieds qui n'enfoncent aucune pédale à effets et pourtant  c'est comme si un écho profond accompagnait les arpèges fragiles.

Cette fille ensorcelante doit avoir des ancêtres magiciens.

Pas de surprises, avec  la suivante  ( ' Liza' )  , au jeu dépouillé,  elle persévère et nous sert une composition  feutrée, lunaire même.

La ligne... Oh the dragging of her feet made life music for the ghosts in the street... dépeint admirablement l'univers ombrageux dans lequel évolue la poétesse.

Les effets twangy à la guitare conviennent idéalement au morceau 'The country life' , à écouter  sur l'album 'Victorian America' ( on recommande),  Henry Nagle y  hante la pedal steel.

Sur le même album tu retrouves 'The Baby'.

Si l'album a été baptisé 'Victorian America', c'est pourtant vers la Grande-Bretagne qu'il faut se tourner, si le règne de la Reine Victoria, pour beaucoup, est synonyme d'avancées scientifiques, de prospérité industrielle, il voit aussi naître des écrivains ou poètes tels que Lord Tennyson, plus connu pour son pessimisme que pour sa joie de vivre, Charles Dickens, Benjamin Disraeli ou William Makepeace Thackeray, ces gens  ne peuvent pas  être catalogués comme  auteurs humoristiques, style Alphonse Allais.

On retrouve dans The Baby  tout le côté ténébreux  lisible chez Emily Brontë, ce bébé n'aura pas vécu... Oh the devil came between she and I... le  Malin l'a emportée.

'Frozen garden' :  chez Miss White les jardins ne sont ni fleuris, ni reposants, encore moins accueillants, ils sont dusty et  plein de pourriture.

Toute cette imagerie gothique  sert de métaphore pour décrire son propre désarroi et ce ne sont pas  ses vocalises hantées qui peuvent la soulager.

'The cliff' , que fais- tu en haut de la falaise, quelles sont les pensées qui traversent ton cerveau?

... So you chose to jump off that cliff...  c'est moche, une rupture, se donner la mort est-ce  la solution?

La voix à la texture éthérée  s'embrume légèrement pour  entamer 'A shot rang out'  , une nouvelle plage au ton mélodramatique, ayant le don d'hypnotiser le public qui, depuis le début du set évite de produire le moindre bruissement de peur de rompre le charme  dégagé par  cette artiste si particulière.

Tandis qu' Emily Jane égrène délicatement  ses notes et partage ses émois, quelques goélands survolent la terrasse, surpris par le calme  des clients , ils s'abstiennent de pousser leurs cris stridents.

'Broken words', bourré de  relents country,  est probablement la plage la plus proche de l'univers Americana  cher à  Lucinda Williams ou à  Mary Gauthier.

Ce set inspiré prend fin sur le titre le plus punchy de la playlist, ' Hole in the middle'. Si tu veux te payer un pas de danse avec Satan, ne te gêne pas!

Emily se produira deux fois à Plouha dans les jours qui viennent, Le Barbe l'accueille les 2 et 7 août.


A ne pas manquer!