Festival Art Rock à Saint Brieuc, jour un, avec Camélia Jordana/Fatoumata Diawara/The Good, The Bad and the Queen, le 7 juin 2019.
La tempête baptisée "Miguel" s'abat sur les côtes françaises et plusieurs départements de l'Ouest de la France sont placés en vigilance orange, les Côtes-d'Armor ne sont pas épargnées... la première journée d'Art Rock ne démarre pas sous les meilleurs auspices.
Il t'a fallu une heure 30' pour rejoindre Saint-Brieuc, en temps normal 35' suffisent, bourrasques de vent perfides, méchantes averses , on était loin des bermudas et jupes courtes de l'an dernier, cette soirée inaugurale a bien failli ne pas se dérouler.
Les portes se sont ouvertes tardivement, le podium tremblait sous les coups de tabac, à 18:30, la foule ne se presse pas aux pieds de la Scène A.
Camélia Jordana a ouvert le feu avec un léger retard sur l'horaire, de là-haut elle pouvait contempler les nuages et dénombrer le nombre de spectateurs en utilisant tous ses doigts et orteils.
Vêtue d'un trench emprunté à Columbo, celle qui t'avait laissé une excellente impression à Bruxelles en 2015, vient présenter son troisième album, 'Lost', sorti quatre ans après 'Dans la peau'.
Il ne s'agit pas de paresse, Camélia Jordana Aliouane a tâté du cinéma, avec un César du meilleur espoir féminin pour sa performance dans 'Le Brio' d'Yvan Attal.
Pour cette tournée, la dame sans camélias a fait appel à Dani Bumba et Jaj aux chœurs, Everydayz aux machines et Romain aux percussions.
'Hello Saint-Brieuc, je débute avec un hommage à ma tribu féminine, 'Pas ton temps', de l'electro chaloupé, truffé de sonorités du Maghreb jusque dans le chant, quasi berbère.
C'est mon premier festival estival, avoue-t-elle en scrutant le ciel gris, c'est également une première pour l'album en Bretagne, avez-vous remarqué qu'il existe pas mal de similitudes entre les musiques traditionnelles celtiques et arabes, vous allez le constater dans "Dhaouw", lumière en arabe, un titre rythmé par l'omniprésente derbouka .
En visionnant les images projetées sur l'écran géant, tu constates que le public a finalement bravé les éléments pour arriver en masse.
L'album 'Lost' est plus 'politisé' que le précédent, le lent, profond et saccadé 'Freestyle' traite des regards hostiles que certains ont jetés sur la jeune femme, petite -fille d'immigrés algériens, après Charlie et le Bataclan.
J'hésite, dois-je interpréter 'Do not choose', oui ou non?
Allez, on s'y attaque en mode trip hop avant d'embrayer sur le mélancolique 'Empire', dans lequel elle mêle français et arabe pour tracer son autobiographie.
Le gospel chanté a capella ( seul un tambourin accompagne les voix) 'A girl like me' a également une histoire, le titre lui a été inspiré en voyant une famille de réfugiés Syriens devant une bouche de métro, la femme était voilée d'un drapeau américain.
La chorale briochine s'époumone, Camélia sourit.
'Freddie Gray', ça vous dit quoi?
Rien?
Son assassinat par des policiers a déclenché les émeutes de Baltimore, c'était en 2015.
Quand j'ai écrit le titre, Adama Traoré subissait le même sort à Beaumont-sur-Oise.
Les violences policières ne connaissent pas les frontières.
Après la cover de 'Rich girl' de Gwen Stefani, reprise en choeur par la place, on lui fait signe qu'il ne reste que cinq minutes, après de brèves indications à l'équipe, elle termine par 'Ignore' , un trip hop obsédant, dédié aux femmes.
Camélia n'a pas opté pour la facilité mais sa nouvelle orientation a le mérite d'éveiller l'intérêt de l'auditeur ouvert aux expérimentations.
Fatoumata Diawara
A 20:00 pile, les musiciens s'installent, Yacouba Kone (guitar), Arecio Smith (keys), Sekou Bah (bass), Jean Baptiste Gbadoe (drums), une voix chaude émane des coulisses, elle psalmodie un chant noir envoûtant.
Fatoumata se manifeste, longiligne et splendide dans sa longue robe blanche ornée de motifs animaliers pour répondre au thème du festival, un turban multicolore enserre sa chevelure, on lui refile une guitare et elle reprend, de manière sensuelle, la mélopée introductive, probablement ' Don Do', un extrait du dernier album de la chanteuse, comédienne et auteure-compositrice-interprète malienne, nouvelle star de la musique africaine.
Morceau achevé, elle sourit, questionne, est-ce que ça va, avant d'attaquer une seconde pièce concise et rythmée.
Elle abandonne son instrument pour l'épicé 'Kokoro' qui traite des racines africaines et de la génération actuelle.
Fatoumata entrecoupe son tour de chant d'anecdotes ou de messages sociaux, ainsi le blues du désert ' Timbuktu Fasso' est dédié aux enfants du Mali qui n'ont pas le bonheur de pouvoir aller à l'école mais aussi aux femmes battues et torturées.
Une image pas vraiment rose de l'Afrique mais elle ajoute, tous les hommes ont le sang rouge, pour prôner la tolérance et l'acceptation de l'autre.
Superbe titre, au groove infectieux.
Saint-Brieuc, tu tapes dans les mains, je reprends ma guitare. Basse et guitare entament un ballet synchronisé, la place chaloupe avant de voir Yacouba placé un solo wah wahté du plus bel effet.
Damon Albarn qui suit le concert debout à côté de l'ingé-son, conquis, vient embrasser la chanteuse qui poursuit son voyage avec ' Negue Negue' en pensant à Fela Kuti.
Afro beat et rock cohabitent, c'est la folie derrière toi, elle a dû piquer un sifflet à un CRS, elle en tire des bruits stridents avant de laisser la place à Sekou qui nous gratifie d'un solide solo de basse ( cinq cordes).
Le ton monte d'un cran avec l'époustouflante reprise de 'Sinnerman' de Nina Simone. Prise par son chant, la belle enfant, bientôt maman, en perd sa coiffe, sa coiffure libérée virevolte aux sonorités d'un final explosif.
Il n'en reste qu'une ( 'Bonya') elle sera tribale et reprise en choeur par une foule envoûtée qui lui a fait une ovation monstre.
Fatoumata Diawara est à l'affiche de plusieurs festivals cet été, l'artiste y transmettra sa frénésie, son charme et sa joie de vivre.
Consulte son agenda!
La pluie ayant redoublé, tu trouves refuge pendant 20 minutes sous une tente, tu te promets de quitter ton abri pour tendre une oreille et jeter un oeil sur la prestation de Kery James, un rappeur né Alix Mathurin, que la presse considère comme un leader du rap politique.
Malgré le fait qu'il se tape plus de quarante balais, le gars de la Guadeloupe, que les petits jeunes à casquette ont baptisé Tonton, rappe encore, il le proclame haut et fort.
Sept albums solo à son actif et des propos incendiaires, le rap français est à l'agonie, ce qui ne plaît pas aux petits nouveaux....
Toi, le rap, ne te fait ni chaud, ni froid, ils ne sont pas très nombreux les artistes pratiquant ce genre à t'émouvoir.
Sur scène: une batterie installée derrière un paravent en plexi et une panoplie de synthés, platines, laptops, samplers, sequencers et autres gadgets devant suppléer l'absence de musiciens humains.
Une sirène tonitruante annonce le début du show, le gars aux platines lance une bande traçant la biographie scratch scratch scratch de superman, une mise en condition complaisante et un brin dikkenek comme on le dit chez Manneken Pis.
Le batteur se pointe, ils sont désormais deux à bidouiller tandis que Saint-Brieuc, scande Kery, Kery, Kery... la vache, le voilà il arrive comme Zorro, , cool, suffisant, poseur et débite son dernier tube 'J'rap encore'.
Il est bientôt rejoint par un duo de bérets levant le poing à la manière de Tommie Smith et John Carlos en 1968.
Second discours, ' Musique nègre' ...
Depuis le bruit et l'odeur je sens que je dérange la France
Je fais un tour chez Guerlain, je mets du parfum de violence
Quelle arrogance, quelle insolence...
T'as ri en cachette en te disant que le rap à la française ce n'est pas vraiment ta tasse de thé, à tes côtés les gens adorent, tu estimes que c'est l'heure d'aller écluser une Coreff, tu mets les bouts tandis que la clique s'attaque à Trump avec ' PDM'.
Tu sors de l'enceinte, tourne en ville pour t'arrêter au Village face à La Passerelle où un petit groupe sympa, The Captains, termine son set, t'as bien aimé leur version de 'Satisfaction', surtout grâce à la nana maniant un violon.
Revenu sur la Scène A, tu assistes aux derniers soubresauts de Kery qui estime que nous sommes fatigués, Saint-Brieuc tient à le détromper et lui répond du tac au tac.
Il nous reste 25' avant le concert de The Good, The Bad and the Queen, tu parviens à te faufiler frontstage pour assister au show cinq étoiles de la tête d'affiche de cette journée inaugurale.
C'est en 2006 que le projet voit le jour, il compte en ses rangs Damon Albarn ( Blur, Gorillaz), Paul Simonon ( The Clash), Simon Tong ( The Verve, Gorillaz) et Tony Allen ( Fela Kuti), un premier album paraît et dans la foulée le supergroupe se paye une tournée mondiale.
2018, surprise, une seconde plaque arrive, 'Merrie Land' et The Good, The Bad and The Queen reprend la route pour jouer ces nouveaux morceaux.
A 23h, ils sont dix à peupler la scène, le bon, la brute, la reine, son prétendant plus un quatuor à cordes, féminin, portant casquette, les Demon Strings, des copines à Damon, un organiste ( Mike Smith, probablement) et un percussionniste ( Karl Vanden-Bossche , un gars qui a collaboré avec le regretté John Martyn).
Sur la toile, en fond de scène, le Blackpool's North Pier en teintes sépia.
Le décor est planté, une intro délicieusement désuète annonce le début du spectacle, sur bande une voix off, très British d'avant guerre, récite Chaucer... And especially from every shire's end of England; the holy blissful martyr for to seek, that them had helped them when they were weak... pour introduire 'Merrie Land' , une chanson mélancolique rappelant certaines pièces de Ray Davies ou même de Gilbert O'Sullivan .
Tous les critiques notent le désarroi qui pointe chez Damon Albarn lorsqu'il fait allusion au Brexit.
L'album sera joué en entier, en suivant l'ordre chronologique, 'Gun to the head' et ses sonorités old England nous renvoie à la fois vers les Beatles de A day in the Life que vers Divine Comedy, le son est parfait, les arrangements sont soignés jusque dans les petits détails.
'Nineteen seventeen' nous balade dans des cimetières français où des milliers de croix blanches rappellent les soldats britanniques ayant péri lors du premier conflit mondial.
Damon se retrouve à genoux pour interpréter le majestueux 'The great fire' qu'il termine par quelques mesures au melodica.
Il passe derrière le piano pour la ballade déchirante 'Lady Boston' qui t'expédie des flashes de Marianne Faithful dans ses morceaux les plus sombres.
Après cette pépite vient 'The Truce of Twilight' qu'il présente ainsi,.. I feel you're in the mood to sing with me... ambiance de fête foraine, musique un brin kitsch, visions cauchemardesques, tout y est.
J'étais ici en 1994, confie le frontman of Blur avant de saisir une acoustique pour la romance 'Ribbons'.
Après le théâtral 'The last man to leave' vient 'The poison tree' qui clôture la lecture de l'album.
If you've got dreams you keep
Because you're leaving me
I'll see you in the next life
Don't follow me
To the poison tree
That grew up next to me
It's really sad...
Oui, la mélancolie est omniprésente mais, oh, si bien mise en valeur!
Après quelques considérations à propos du balafon joué en Ouganda, commence la seconde partie amorcée par ' History song', un petit reggae guilleret, il est suivi par le slow '80's Life' , ce sera donc bel et bien le premier album qui passera la revue.
Retour à l'acoustique pour le tasty et psychédélique 'Kingdom of doom' qu'un gars compare à du Syd Barrett, on ne lui donnera pas tort.
'Herculean' chanté d'une voix étouffée, précède le délicat ' A soldier's tale', ( 'The bunting song', 'Behind the sun' et 'Nature spring' , sont passés à la trappe).
Damon vient haranguer la foule tandis que le groupe attaque le tourbillonnant 'Three changes' pendant lequel il se paye quelques sauts périlleux tout en criant hey, hey, hey...ce sera le morceau le plus virulent du set.
Retour à la quiétude pour contempler les 'Green fields' et c'est par ' The Good, the Bad and the Queen' , une pièce montée en forme de montagnes russes, que s'achève ce spectacle exceptionnel.
PS: Damon a probablement appris que Boris Johnson était le premier candidat à la succession de Mrs May, le NO DEAL se profile!