jeudi 12 mars 2020

Keren Ann et le Quatuor Debussy à La Passerelle Scène Nationale de Saint-Brieuc, le 11 mars 2020

Keren Ann et le  Quatuor Debussy à La Passerelle Scène Nationale de Saint-Brieuc, le 11 mars 2020

L'idée à germer en 2017, s'est concrétisée en octobre de la même année, Keren Ann et le Premier Grand Prix du concours international de quatuor à cordes d' Évian 1993, le Quatuor Debussy ,se sont produits  à la Chapelle de la Trinité dans le fief de la formation de musique de chambre, à  Lyon.
L'expérience fut couronnée de succès, les protagonistes se sont appréciés et amusés, ils ont décidé de continuer l'aventure, en ce 11 mars, jour où  Donald a décidé de fermer les frontières aux voyageurs en provenance d'Europe, c'est La Passerelle de Saint-Brieuc qui les accueille.
L'effet pandémie semble avoir joué, à 19:55 le nombre de sièges inoccupés est anormalement élevé!
Rectificatif: afflux massif de 20:00 à 20:10, les spectateurs ont attendu la dernière minute avant de gagner la salle.
C'est donc à 20:10', le quart d'heure académique a été bafoué, que le Quatuor Debussy se présente, debout,  en rang d'oignons ( merci   Artus de La Fontaine Solaro, baron d'Ognon), sur le devant de la scène.
 Christophe Collette et Marc Vieillefon, violon /Vincent Deprecq, alto / Cédric Conchon, violoncelle,
ont opté pour l'andantino d'un quatuor à cordes de Dmitri Shostakovich pour ouvrir la soirée.
La salle retient son souffle, le ton est tragique et incite au recueillement.
Cette performance initiale  est follement applaudie, tandis que les Lyonnais prennent place sur leurs chaises, Keren Ann Zeidel fait son apparition. et, sans un mot, se saisit d'une guitare électrique.
Fraîchement auréolée du Grand Prix de la chanson française de la SACEM, la  chanteuse, polyglotte, revisitera plusieurs titres de ses huit albums studio ( le dernier 'Bleue' date de 2019), le quatuor ayant la charge de les vêtir d'une apparence à l'esthétique convenant aux auditeurs de France Musique.
C'est par 'Les jours heureux', un extrait de 'Bleue', que démarre le concert, un départ aux couleurs pastel, tout en délicatesse et poésie, et puis, surtout, il y a le timbre particulier de la chanteuse, caressant, fragile, précieux, inimitable en somme, comme pouvaient l'être  les intonations de la voix de Jeanne Moreau .
Il n'a fallu qu'une chanson pour que le charme opère, l'audience écoutera religieusement pendant toute la durée du récital.
Avec ' The harder ships of the world' on revient en 2007, cette plage folk minimaliste et dépouillée  est à classer aux côtés des meilleurs morceaux de Cat Power, Feist ou Anna Calvi.
 'You're Gonna Get Love' , qui donne son titre au septième album de la singer-songwriter, présente des relents Tow Waits ( euh, non, pas par la voix) loin d'être idiots.
Miracle, elle s'adresse à nous, quand elle ne chante pas, cette voix nous semble encore plus frêle, le phrasé est aussi sophistiqué que celui d'un  Fabrice Luchini, pour commenter la genèse de 'Chelsea burns', celle qui se partage entre Paris et New-York, se baladait sur la 23è rue à Manhattan, ça sentait le feu.... j'étais près du fameux Chelsea Hotel, j'ai couru vers le studio pour composer ce titre.
De Leonard Cohen en passant par Nico, Joni Mitchell  ou Jefferson Airplane, ils sont nombreux à avoir chanté l' illustre hôtel.
Keren a sorti un harmonica et les riffs lourds, tandis que le Quatuor teinte la composition de touches mariachi.
Une réussite intégrale!
D'une attaque nerveuse, la guitare amorce le furieux ' It ain't no crime', le final est épique, tel le matador faisant tournoyer sa muleta, la madame  danse avec une bête imaginaire.
Ils sont nombreux les artistes ayant baptisé un de leurs titres 'Sugar Mama', le Zep,  Beyoncé, le fabuleux Taste de Rory Gallagher et des tas de bluesmen dont B B King, John Lee Hooker ou Sonny Boy Williamson, sur disque, le morceau faussement naïf  de l'esthète, ayant opté pour la nationalité française, est plus proche de la sixties pop (et on n'avance pas ce lien à cause de 'Sugar Sugar' des Archies) que du blues, par contre ce soir l'esprit Velvet Underground plane sur les arrangements proposés avec le quatuor à cordes.
Interruption, elle dépose sa guitare, se dirige vers le premier rang pour signaler à un(e) spectateur(trice) que le flash de son Kodak l'indispose, la personne, pas ravie, se tire, le concert se poursuit par la ballade ' Lay Your Head Down' qui, une nouvelle fois, évoque le Velvet.
Elle revient au français avec le sensuel, et pudique à la fois, ' Bleu' .
C'est au piano que Kren Ann ébauche 'Ton île prison' , narrant en clair obscur la fin d'une aventure. 
Une chanson, c'est parfois ton histoire, parfois celle d'un autre, ' Le fleuve doux' se situe au Brésil. Le Rio Doce, après la rupture d'un barrage, a charrié des dizaines de corps inanimés, le tableau que dresse l'interprète évite le pathétique, il en est encore plus émouvant.
Retour à l'album 'Nolita' avec ' Où vais-je', une rêverie des débuts, qui a ravivé de soyeux souvenirs, nous étions nombreux à être ébahis par  le jeu tout en dentelles du quartet.
 Avec 'Not Going Anywhere' on demeure dans la soie, même sans la présence du sitar, le morceau fascine comme le 'Norwegian Wood' des Beatles.
A '  You Have It All to Lose'  succède  le tube feutré ' My name is trouble',  chanté d'une voix voilée.
Francine trépigne, elle a reconnu  'Jardin d'hiver' le titre  écrit avec Benjamin Biolay, morceau phare de ' Chambre avec vue'  qui a permis à Henri Salvador de rafler la mise lors des Victoires de la Musique en 2001.
Elle l'avoue dans 'L'Illusionniste' , elle tutoie les anges, de là toute cette délicatesse  et ce côté apaisant.
Spleen, mélancolie, vague à l'âme, mal de vivre... sont des termes souvent utilisés pour dépeindre l'univers de l' auteure - compositrice d'origine  israélienne et néerlandaise, 'In your back' justifie ce propos.
Wake up slowly, there are blue skies ... chante-t-elle dans   'Strange Weather' , les cieux bleus, c'est ce à quoi les Costarmoricains aspirent depuis des mois. Morceau achevé, Keren présente l'équipe musicale et technique, avant de reprendre place derrière le piano pour 'Sous l'eau', un dernier extrait,  lumineux, de l'album Bleue.
Exit la troupe.
Ton voisin.... malgré une approche assez froide, il était bien ce concert, non?
Tu acquiesces en confirmant la notion de distance existant entre l'interprète et le public, elle n'est pas obligée de faire le clown, non plus!

Bis
La séquence rappel débute par une grandiose version de 'Life on Mars' de David Bowie et se poursuit par le brumeux ' By the cathedral' .
Elle salue le public, nous laisse avec le Quatuor Debussy qui revient au devant de la scène pour interpréter une dernière pièce symboliste, qu,i va t'en savoir pourquoi, te rappelle les movie themes de  Dimitri Tiomkin.